« Mykaël est un élève brillant, mais très dissipé et indiscipliné. Il fait le pitre et parle sans cesse en classe. Il n'écoute que très peu ses professeurs et adopte envers ceux-ci, parfois, une attitude à la limite de l’indifférence. Il rêvasse beaucoup, de surcroît. Il serait temps de recadrer un peu votre enfant Mrs Calloway. »
Du plus loin que je me souvienne, ma mère recevait souvent ce genres de mots de la part de mon proviseur. J'étais- et je suis toujours d'ailleurs- ce que l'on pouvait communément appeler un original. Je n'allais jamais dans les sentiers battus, préférant me distinguer. Mon côté rêveur et marginal désespérait ma pauvre mère, comme il la charmait, à la fois. Elle s'amusait souvent à me répéter que c'était ma bouille d'ange qui rattrapait toujours mes frasques. La pauvre, en y repensant, je ne l'avais pas vraiment épargnée. Veuve, elle avait du seule assumer mon éducation durant toutes mes années de jeunesse. Ce contexte nous permit d'être très complices l'un et l'autre. Malgré tout ce que les gens pouvaient dire sur moi et notre petit cocon familial, elle encourageait mon imaginaire et mon originalité. Ce n'était pas facile à assumer, et pourtant elle aimait le fait que je ne fut pas un mouton- comme elle le répétait souvent. C'est donc sans surprise que vous apprendrez qu'elle fut celle qui inspira ma carrière.

« Maman, quand je serais grand, je ferais des films afin de vendre quelques heures de rêve au monde. »
Le cinéma avait toujours été la grande passion de ma vie. Mon premier amour, même. Je pouvais passer des après-midis entières à traîner dans les salles obscures, afin de visionner films après films. J'allais tous les voir, sans discrimination- aucune. Chaque film, selon moi, méritait d'avoir sa chance et de ne pas se faire juger avant d'avoir été vu. C'était ma devise, ça l'est toujours. Ma mère ne fut donc pas étonnée quand j'affirma vouloir devenir un artiste du septième art. Et, comme à son habitude, elle fut la première à croire en moi, à m'encourager avec tout ce qu'elle avait.


« Mikah, tu as été le rêve de ma vie. »
Les médecins ne lui laissaient plus beaucoup de temps- quelques semaines tout au plus. Cancer généralisé, disaient-ils avec leurs têtes affligés; que de piètres acteurs. Le sort de celle qui fut mon modèle leur importait peu, elle n'était qu'une patiente de plus à leurs yeux. Mais moi dans tout ça? Qu'allais-je bien pouvoir faire sans elle? Elle avait promis être là pour la première de mon premier film. Ce n'était pas juste. On allait me la retirer trop tôt, beaucoup trop tôt. Elle ne méritait pas ça, aucun de nous ne le méritions. Mais la réalité n'était jamais juste. Elle était, et c'était tout. C'est ainsi que ma mère s'éteignit alors que j'avais 17 ans. Je ne m'en suis jamais remis.

« Applaudissez comme il se doit le metteur en scène du nouveau film à succès de Spielberg, Mykaël Calloway! »
Ma mère avait économisé toute sa vie pour pouvoir m'offrir les études que je désirais. A sa mort je ne fus donc pas laissé sans le sous. Et c'est ainsi que j'entama des études cinématographiques. Mon diplôme, je l'obtins avec mention; et- grâce à une chance incroyable- j’enchaîna vite les grands succès à l'âge de 22 ans seulement. Tout le monde voulait me voir jouer dans son film, ou encore le mettre en scène. Et pourtant, malgré toute cette soudaine popularité, je restais le rêveur souriant que j'avais toujours été. Je me consacrais à ma passion avec rigueur et ne laissait en aucun cas la célébrité me monter à la tête. J'aimais rire de moi, ne pas me prendre la tête, et faire pitre: comme avant. Et surtout, entre deux tournages, je revenais habiter à Paradise. Ville de mon enfance, creuset de mon rêve.