Ce souvenir était encore vaporeux pour Andromak. Il y a cette chambre d'hôtel, son envie de se pencher du haut du balcon qu'il n'arrive pas à atteindre à cause de sa taille d'enfant. Le soleil est si radieux dehors, Rome est à ses pieds et les piétons ne semblent alors que des grains de sables qui s'envolent au quatre coin de la ville sous cette chaleur déjà si palpable. L'odeur du café encore brûlant qui repose dans un coin de la chambre le rappelle à l'intérieur de l’immense suite. Andromak cherche son père, lui qui ne manque jamais son café du matin. Pourtant, il n'y a personne, il pense un instant qu'il se joue de lui, il va le chercher sous le lit, derrière les drapés. Il se mit à rire et entre dans la chambre qui la côtoie de ses pas sautillants. Le parfum de sa mère embaume la pièce, il s'approche de sa commode et frotte son nez à la bouteille qui sent la rose et le lys. Il vole un chocolat dans la boite ouverte et le dévore avec délice. Il effleure ses objets et son œil encore jeune s'arrête sur la cigarette qui brule encore dans le cendrier. Un craquement dans l'entrée, une voix plus forte qu'une autre, tout l'attire et il s'empresse de courir vers ce bruit.
« Ne faites pas l'enfant. Il doit venir avec nous et vous le savez ? » C'est le cœur haletant qu'il s'arrête entre deux portes, il se couche derrière une commode. Le petit chérubin a prit l'habitude d'écouter entre les portes. C'est le regard lumineux qu'il se concentre sur les hommes en noirs qui se sont invités. Son père semble furieux et sa mère effondrée dans ses bras, son petit cœur s'affole.
« Vous avez choisi de vivre ainsi. Vous avez déshonoré votre rang et votre nom. Ne jetez pas ce déshonneur sur votre fils. » Tout enfant qui se cache, la peine de sa mère le tourmente et il veut courir pour lui tomber dans les bras, pour la rassurer.
« Mais, il est si jeune...Il ne comprendra rien à ces changements... » L'homme en noir n'apparait pas antipathique, sa voie n'est pas froide. Il semble les connaître. Il semble aussi attristé qu'eux.
« Il sera prit en charge par les meilleurs et vous le savez. C'est maintenant que nous devons commencer à faire son éducation. Nous forcez pas à rendre cela plus horrible que... » La mère d'Andromak s'avance comme toute mère lionne qui ne veut pas abandonner face à cette demande et gifle son voisin avec fièvre.
« Qu'est ce que vous connaissez de l'horreur ? Vous allez m'enlever mon fils. Vous n'êtes qu'un... » L'enfant serre les dents et veut agir, mais une main vient l'attraper par l'épaule et le soulever du sol. C'est une main étrangère qui sent le vieux tabac froid, une main qui l'enserre et qui le traine avec lui. Il commence à hurler, à gesticuler, cependant il reste prisonnier. Tout devient confus, les paroles fussent autour de lui, la main de son père vient pour le délivrer, mais il est repoussé au loin.
« Andromak !! », hurle sa mère.
« Lâchez mon fils, bandes de salopard ! », vocifère son père. Il continue à s’éloigner et il n'y a plus que ses larmes pour lui tenir chaud.
« Laissez-moi au moins dire au revoir à mon fils.... Vous ne pouvez pas faire ça....Pas comme cela...» Une porte claque, c'est ensuite le noir, l'incertitude et la peur. Cette peur qui lui lacère le ventre et qui le met dans un état où plus rien de ne semble arrêter ses larmes. Plus rien.
Une voix toussota gentiment et Andromak se mit à sourire de plus belle, la nuit le couvrait d'un masque enivrant en cette veille de réveillon. Les feux d'artifices éclairaient par intermittence ses jeux coquins dans un des bosquets des jardins de la demeure princière. Monaco semblait à la fête et lui aussi par la même occasion, les traits de son visage se contractant avec jubilation. La voix étrangère toussa plus fort et se permit de lâcher quelques mots :
« Andromak ! Quand même ! » , apostropha t-il.
« Monsieur le prince, Jacob. Monsieur le prince. Les convenances... », s'empressa t-il de répondre avant de lâcher un gémissement plus masculin. Andromak satisfait, tapota sur la petite tête blonde qu'il avait en-dessous de lui et remonta son pantalon. Jacob semblait consterné.
« C'est bien, votre prince est satisfait de vous. Vous pouvez retourner au cuisine maintenant. » L'inconnu se releva dans un magnifique sourire et s'empressa de disparaître. Jacob se rapprocha du prince tout en secouant la tête. Il passa une main rapide sur sa veste et sur son nœud papillon. Tout devait être parfait pour lui, pour celui qui avait toujours surveillé le prince. Celui qui avait été comme un père, un conseiller et à la fois un intendant.
« Vous êtes pénibles, monsieur le prince. Si je peux me permettre ? Nous avons déjà parlés de cela des centaines de fois. Vous devez être plus discret. Vous n'aurez pas toujours dix-sept ans.» Le visage d'Andromak commença à s'assombrir alors qu'il commença à reprendre sa marche vers les chemins éclairés du château.
« J'espère bien. J'ai l'attention de transformer l'aile ouest en vrai lupanars dés que je saurais nommé roi. » Jacob soupira tout en suivant quelques pas derrière le prince comme le voulez les conventions.
« Je sais que vous me dites cela pour me rendre fou. » Le prince se retourna et alla pincer la joue de son souffre douleur favori.
« Vous avez tout deviné, Jacob. » Le vieil homme à ses côtés lui offrit un sourire affectueux tout en ajoutant.
« Vous grandirez bien un jour. En parlant de cela, on vous attend dans la grande salle pour célébrer... » Le prince s'empressa de sauter d'une balustrade et de descendre par une grande échelle de liège pour finir dans un petit chemin de terre.
« Mais, vous faites quoi ? » Andromak se faufila dans des grands buissons comme il avait l'habitude de faire depuis sa plus jeune enfance au château. Sa voix s’éleva d'un rosier alors que Jacob le cherchait toujours d'un œil inquiet.
« Vous direz que je suis souffrant. Le pays compte sur vous, Jacob. Moi, je vais sortir un peu du château. Je veux faire la fête. C'est le réveillon quand même. » « Prince, revenez tout de suite ! », ordonna le vieil homme qui n'avait plus de pouvoir depuis bien longtemps.
« Andromak !! » Sa voix se perdit dans la nuit et les feux d'artifices continuèrent d'illuminer le ciel. C'est le cœur bondissant que le prince escalada le grand mur de pierre. Il fit un dernier signe de la main vers Jacob et disparu.
« Laissez-moi remettre le col de votre veste, votre majesté » , demande une des nombreuses mains qui s’affairent autour du prince de Monaco.
« Faites, je vous en prie. », réponds Andromak de manière très protocolaire. Les demandes et les courbures fussent, mais le regard de l'homme reste imperturbable. Il fait pourtant chaud tout d'un coup sous les épaisses lampes artificielles, sur ce tapis de velours, avec sur les épaules ce costume lourd de tradition. Les médailles et les parures qui étincellent sur son torse, les preuves de son attachement à son pays et à son rang. Les petites mains vérifient chaque plis, chaque mèches de cheveux. Lui, il serre délicatement la main de sa jeune et fraiche épouse ; Plume. Pendant un court instant, tout lui semble mascarade et au fond de sa poitrine il veut hurler, mais rien n'apparait. Le jeune garçon rebelle a laissé sa place à un homme d'une trentaine d'année rongé par l’aristocratie et ses devoirs. Ils marchent jusqu'au balcon, tout le monde derrière eux retient leurs souffles. Dehors, les acclamations retentissent, c'est un jour de joie et d’allégresse. Andromak et Plume s'avancent tout en s'échangeant un regard. Ils confrontent leurs mensonges, car ils savent qu'il n'y a aucun mariage d'amour ici. Leurs visages est soudain tristes, mais les portes s'ouvrent et ils affichent le masque de circonstance. Ils se s'entrelacent, paraissant plus amoureux que jamais. Ils sont venus nombreux célébrer ce moment. La foule agitent leurs drapeaux, ils scandent leurs noms et c'est dans ce moment de pure allégresse que le prince et la princesse de Monaco s'embrassent. Ils restent à saluer la foule, longtemps. Le temps de repenser à une vie, à sa vie. C'est donc la fin de ses pèlerinages festifs à Ibiza, se demanda Andromak ? L'âge de raison, comme semblait si bien lui rappeler son fidèle, Jacob. Il n'apparaîtra plus complétement ivre en couverture de Paris Match ? Plus aucun dérapage à la sortie de boite de nuit comme dans ses jeunes années ? Plus de rumeur sur son homosexualité ? Il va devoir remplir son rôle de Roi et s'occuper des taches de son pays. Cela veut dire plus le temps pour sa musique, cette guitare qu'il aimait faire vibrer tout en fumant une cigarette.
Retour à l'intérieur, les voix fusent à nouveau autour deux.
« Vous étiez parfait, votre majesté. » Andromak adresse un sourire simple à Jacob. Un sourire qui cache bien des choses, mais qu'il doit garder pour lui à présent.
« J'en suis content, mais tout le mérite en revient à ma chère épouse. » Il embrasse la main de son épouse et Plume le remercie.
« Votre Majesté est trop bonne avec moi. » Elle s'éloigne, les mains reviennent toucher le prince, remettre en place des choses qui lui semblent si futiles. Soudain, la douloureuse pensée, ce n'est pas un mariage, mais un enterrement, son propre enterrement. Jacob et lui se regardent dans le blanc des yeux. Son conseiller semblant vouloir lui insuffler ce courage. Il faut continuer. Ce n'est que le début d'une longue et perpétuelle mascarade.
« Waou ? La tour est à nous complétement ? Je peux toucher ce que je veux ? On peut visiter tout les moindres recoins ? » Andromak hoche la tête devant un Aloïs tout excité, tout en gardant ses mains dans son dos, toujours cette posture princière même loin de Monaco, loin de ses obligations.
« Oui. On va dire que je connais personnellement le Prince. », ajouta t-il en se tournant vers les épaisses armures d'un temps ancien résolu.
« Nous avons eu une certaine soirée arrosée ensemble dans notre jeunesse...Si je te racontais tes chastes oreilles pourraient en être à jamais meurtries. » Le jeune étudiant ouvrit ses grands yeux de biches et le sourire du Prince ce fit plus authentique. Un écho étourdissant qui se répéta au fond de son cœur. Est-ce qu'il battait plus vite ? Il en était certain.
« Non ? Arrêtez ! Qu'est ce qu'il a fait ? Racontez ! Racontez ! » Andromak reprit sa marche, se moquant avec légèreté du zébullon qui tournait autour de lui. Il l'ignorait avec amusement, avant de s'arrêter sans un avertissement. Il s'approcha d'Aloïs se moquant bien du protocole pour lui donner une simple pichenette sur le bout du nez.
« Si, je te le disais, je serais obligé de te laisser dans les douves avec les rats...C'est la procédure. » Le roi de Monaco le regarda avec sérieux, il aimant tant jouer avec l'étudiant. Cette présence, cette visite, il n'avait aucune raison d'être à Londres. Il n'avait aucune raison d'être avec ce jeune garçon qui avait encore tout d'un enfant. C'était de la folie et pourtant il se sentait en vie, il se sentait renaître. Andromak aimait être en contact avec cette fraicheur, ce petit éclat aussi lumineux qu'un diamant.
« Vous vous moquez de moi... » Le prince renonça à cette distance et se pencha de tout son corps, cette ombre d'homme gigantesque qui couvrit le corps de l'étudiant, de sa bouche il s'approcha de l'oreille de son voisin et lui murmura.
« Peut-être...Peut-être pas ? Est-ce que tu as le désir de mettre à l'épreuve mes paroles, jeune jouvenceau ? » Sa majesté qui ne riait plus depuis quelques années, s'essaya à un rire rouillé mais sincère. Il passa sa main dans les cheveux emmêlés d'Aloïs avant de continuer leur visite. C'était étrange ce qui lui arrivait, lui, qui avait renoncé aux hommes pour la couronne. Il ressentait à nouveau cette chaleur et ce tiraillement dans le fond de sa poitrine. Andromak regarda l'étudiant tourbillonner autour de lui, s'arrêtant pour observer une tapisserie, posant une question dans la seconde et repartir en courant. Qu'est ce qui lui arrivait ?
« On fait quoi, après ? » Le prince le regard avec cet œil troublé, comme un premier émoi.
« Tout ce que tu as envie, mon garçon...Tout ce que tu as envie. » Mais, tout cela n'était que folie. Il devait se raisonner. Un Roi n'a pas le droit d'aimer. Un Roi n'a le droit de rien ressentir, surtout pas pour un jeune homme si jeune.
Andromak se caressait le menton, le regard dans le vide et la présence de son vieux conseiller à ses cotées. Jacob tournait autour de lui comme un vautour, pourtant la suite était immense, peut-être la plus belle chambre que pouvait offrir un hôtel à Paradise. Le Prince avait allumé une cigarette, lui qui avait arrêté cette mauvaise manie depuis des années. La fumée formait cet épais brouillard qui occupait autant l'espace que son esprit. On pouvait voir dans ses traits un profond trouble et ce n'est pas la bouteille d'un grand champagne qui allait arranger ses pensées orageuses. C'est pourtant son conseiller qui avait toujours été là pour lui qui prit éleva la voix en premier.
« Non. Non. Vous allez m'écouter. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour écouter ces sottises. Il faut que vous arrêtiez cette obsession malsaine. » Andromak se sentit immédiatement accusé injustement. Il se leva dans sa robe de chambre, frappant de ses mains sur ses genoux. L'eau dégoulinait encore le long de sa nuque découverte.
« Il faut vous le dire comment, Jacob ? Je suis là pour le jumelage et rien d'autre...Effectivement, je l'ai revu mais je ne suis pas ici en tant que prince de Monaco. Vous le savez aussi bien que moi. J'ai même repris le nom de ma mère...De Bromeaux. » Jacob se frappa le front, ce vieil homme qui oubliait complétement le protocole, tomba dans un fauteuil et défit sa cravate. Ce que le Prince n'avait jamais vu en trente-sept ans et qui le décontenança légèrement.
« Je vous comprends...Je vous ai vu grandir. Je sais ce que vous avez sacrifié. Vous avez été un homme de parole et je vous ai toujours admiré pour cela, mais est-ce que cela vaut vraiment le coup de détruire tout ce que vous avez battit pour...un gamin ? » Le conseiller très décomplexé se servit un verre de champagne dans une flute et le but d'une traine. Andromak l’observa et il ne pouvait fuir ce qui était si évident pour lui. Ce jumelage n'était qu'une mascarade de plus. Une tentative de fuir le pays pour le revoir. L'envie de le revoir. Très longtemps, dans un silence de cathédrale, le Prince marcha jusqu'au vieil homme et se servit un verre dans le même temps. Il alla s'asseoir, le regard plus vide et plus désespéré qu'il avait pu l'être. Il commença à boire lentement son verre de champagne.
« Si c'est si dur...On peut peut-être réfléchir à des occupations avec la gente masculine ? Ils le font dans de nombreuses maisons aristocratiques et personne n'est obligé de le savoir ? » Les deux hommes se regardèrent. Le Prince n'avait pas de réponse et préféra boire pour oublier. C'est la main de Jacob sur son épaule qui le permit de revenir parmi eux.
« Imaginez le scandale ? Imaginez ce que dira la presse ? Qu'est-ce que vous pourrez construire avec lui ? Si vraiment vous avez de l'affection pour ce jeune homme, laissez le vivre sa vie, tomber amoureux, faire son chemin. Il y a rien de bon qui ressortira de tout ça si vous vous accrochez... »