« Qui que l’on soit au fond de nous, nous ne sommes jugés que d’après nos actes. »

Il n’était rien de plus que cette noirceur qui tapissait les murs de la demeure. Rien de plus que cette odeur amère qui embaumait le grenier. Il n’était pas plus présent que le vase de porcelaine qui habillait le coin de la cheminée. Ni plus remarquable que la rose rouge qui sommeillait sur sa commode. Il n’était que cette sinistre silhouette qui habitait les lieux. Que cette ombre vivace qui fuyait le jour. Il n’était que le fils de. Il n’était que l’enfant qui. Il n’était qu’un nom. Qu’une entité abstraite. Qu’un visage parmi tant d'autre. Qu’un corps sans vie. Il n’était que cette mélodie qui serpentait le long des couloirs. Que ce souffle qui chatouillait les boiseries. Que cette vieille bouteille de vin rouge qui croupissait au fond de la cave. Il n’était que ce jeune homme appuyé contre la fenêtre de sa chambre. Il n’était que ce regard perdu dans le vide. Il n’était que cette pensée noire qui s’égarait dans son esprit. Il n’était que le reflet de lui-même. Le reflet de quelqu’un qui ne savait plus comment voir le monde. Ni comment le découvrir. Ni comment l’apprécier. Il ne faisait qu’être là. Statique. Inerte. Comme l’immense Peuplier qui profilait au milieu du Jardin. Comme les galets blancs qui ornaient l’aquarium du séjour. Et il ne faisait que rêver. Rêver d’un ailleurs. Rêver d’un quelconque univers. D’une quelconque planète. Là où peut-être il pourrait s’échapper. Ne serait-ce que quelques secondes. Que quelques minutes. Jusqu’à ce que la réalité reprenne le dessus. Jusqu’à ce qu’elle le noie dans ses illusions. Jusqu’à ce qu’elle l’emporte dans son tourbillon. Jusqu’à ce qu’elle l’étouffe avec ses mensonges. Jusqu’à ce qu’elle lui redonne cet étrange goût de doute. D'incertitude.

Médisances.

Ily avait Maria et ses sourires, Maria et son air malicieux gravé sur son visage, Maria et sa candeur insupportable. Il y avait ma mère, et son rictus amer qui se dessinait de lui-même à l’instant précis où sa route croisait celle de mon père. Il y avait mon frère, le regard rivé vers l’horizon, pensif, rêveur, semblable à un poète incompris, ou à un suppôt de Cupidon. Il y avait les vieux du quartier, avec leur barbe grisonnante, leurs rides saillantes, et leur incroyable stupidité. Il y avait « Bingo Crépuscule », ma maison, ma prison. Il y avait Varsovie, Varsovie et toute sa populace. Il y avait aussi ma douce Vistule et ses eaux en apparence calmes et reposantes. Il y avait mes soirées au Nord Ouest de la Ville, dans un petit Bar surnommé « SZYNK », en compagnie d’amis du lycée. Et les grands dîners quand venait la saison des fêtes. Oui. Il y en avait des milliers, des rituels comme ça : Le réveil aux aurores ; les bains en compagnie de mon frère; le déjeuné avec ma mère et ma sœur ; les débats politiques et économiques avec mon père qui n'y connaissait absolument rien mais qui faisait mine ; les multiples voyages du Nord au Sud et d'Est en Ouest de la Capitale à pieds ; Les tournois de pokers ; Les émeutes, les manifestations, les bagarres générales dans le centre ville ; Les baignades à la Rivière ; les claques de mon père ; les sourcils froncés de ma mère ; l’hystérie de ma sœur ; l’indifférence de mon frère. C’était ça, rien que ça, juste ça, qui forgeait mon quotidien. [...] Et puis un jour, je me suis rendu compte que je n’avais plus besoin de cette routine, de cette omniprésence de ma famille autour de moi et de ce sentiment oppressant de toujours être surveillé, d’être épié contre ma volonté. Alors je suis parti, simplement. Loin, très loin de la Pologne.