Mon histoire, drôle de façon de demanderit's all about me and she
❝L'amour est un tyran qui n'épargne personne❞
J’avançai le souffle court, prêt à bondir : franchement irrité. En retard, qui plus est. Complétement à la ramasse, la date butoir filant entre mes doigts, les minutes me faisaient défaut, je tentai désespérément de monter dans ce maudit tramway,
Gant 2009, Belgique. Rien qu’un ensemble de piaillement en flamand parvenait à mes tympans. Je priai pour que le temps suspende son vol, qu’il se fige momentanément, m’offrant là une voie de secours. Rien, je perdais tout au fur et à mesure que l’horloge tournait. Au pied de l’immeuble menant aux locaux de la fameuse maison d’édition -chez laquelle je travaillais d’arrache-pied depuis plus de deux ans- je pilais, cédant le passage forcé à une brindille, crachant un simple :
« Bedankt vooral, Hein ! » (
Merci, surtout !). Son manque de politesse eut le don de porter le coup de grâce, je m’apprêtai à en faire tout un fromage lorsqu’elle se contenta de me snober, trop furtive pour sa part, trop en retard pour la mienne, je décidai de laisser couler, magnanime sur l’instant.
L’entretient en compagnie du grand patron n’avait pas été si déplaisant. Je rentrai donc chez moi, en sursit mais néanmoins assez content d’avoir conservé mon poste. Un sourire étira mes lèvres lorsque je recroisai la « brindille » qui elle- contrairement à moi- semblait effondrée.
« U geleerd de beleefdheid ondertussen. » (
Vous avez appris la politesse entre temps ?) Son regard – particulièrement bleu- se posa sur moi, son visage se mue en une moue indescriptible. Sa grimace me parut être un sourire. Elle arqua un sourcil, l’air défiant :
« Je ne comprends pas un seul mot de flamand, espèce de petit merdeux ». Irlandaise ? Affirmatif, il n’y avait pas de doute possible, chacune de ses paroles était hachée d’un accent effroyable pour quiconque ne parlant pas couramment l’anglais. Je compris que la lueur qui animait son regard n’était due qu’à un excès de confiance en elle, jolie brune qui pensait -à l’heure qu’il était- que je n’étais qu’un sot de plus. Un simple belge qui ne captait pas une seule de ses paroles. Son insulte aurait pu éveiller mes nerfs, ce fut le contraire, je me mis à rire. Sous son effarement, je répliquai dans un parfait anglais (étant anglais d’origine) :
« Heureusement pour vous que j’ai l’sang-froid. » Lorsqu’elle se mordit la lèvre inférieure, confuse. Lorsqu’elle s’empourpra légèrement, lorsque ses lèvres se mirent à bouger en de simples excuses, c’est là, je crois. C’est à ce moment précis que son visage est devenu pour moi source de fascination. Nous prîmes les fines gouttelettes de pluie qui vinrent nous caresser les joues comme témoins. Tant pis si cela peut paraitre niais :
je fus captif avant même d’avoir bataillé.« Vous m’suivez ? » crachais-je, taquin. Une tasse de café à la main. Des yeux, je décidai de la couver. Mal à l’aise, elle se mit à épousseter son veston, l’air de dire : « Laissez-moi tranquille, vieux pervers ». Un sourire étira mes lèvres, bordel cela devenait un automatisme à sa vue :
« N’importe quoi, mon amie habite à dix minutes d’ici …et puis, cette ville est TROP petite aussi, ce n’est pas d’ma faute si à chaque fois que je mets le nez dehors, je tombe sur vous ». Une mèche retombait sur ses yeux, j’aurai voulu passer une main dans ses cheveux, l’aider à la peigner, la remettre derrière son oreille, sentir sa peau. Je ne le fis pas, préférant garder une certaine contenance. Tuez-moi, mes doigts me démangeaient. De véritables traitres.
« Vous travaillez ici ? » sans préammbule, grande indiscrétion :
« Ce ne sont pas vos oignons ». Vent intergalactique, tourbillon cosmique. En langage terrien, je dirai : râteau.
« Et si on arrêtais de se leurrer ? On est adulte, n’est-ce pas ? » Lançai-je, une pile de paperasse en main :
« Je ne crois pas une seconde à vos méchancetés… ». Elle planta son regard dans le mien tandis que je retenais un ENIEME sourire. Avais-je tant que cela l’air niais ?
« Nos chamailleries ne sont que le fruit d’une certaine tension sexuelle ». Elle recracha aussitôt la gorgée d’eau qui se trouvait dans sa bouche, stupéfaite de mon culot :
« Tension quoi ? Non mais ça n’va pas bien dans vot’ tête ». Fulmina-t-elle, perdue.
« Vous n’allez tout de même pas m’faire croire que je ne vous fais aucun effet ? ». Ses épaules d’affaissèrent alors qu’un rictus prenait place sur son visage :
« En effet, vous m’faites l’effet d’une poussée d’urticaire ». Râteau n° 2, ça aussi, ça devenait une putain d’habitude. Merde quoi, qu'est-ce qu'elle avait cette nana ? Surement des goûts de chiottes.
Je décidai d’ignorer la demoiselle. Nos regards ne se croisèrent plus quand bien même je tombais sur elle, je changeais de rive. Mon orgueil touché, je reçus le même mois, la visite de ma mère. Nous nous promenions tous deux dans les allées marchandes, parlants de tout avant tout de rien :
« Et tu te plais vraiment ici, Kris ? », elle avait toujours pour habitude d’user de mon second prénom :
« Bien sûr, ce n’est pas Londres mais… ». Un rire surgit d’entre ses lèvres tandis qu’elle s’agrippait davantage à mon avant-bras.
« Chéri, qu’est-ce qui t’empêche de faire un tour du côté de Paradise, ton oncle te propose une place au sein de sa maison d’édition ». Parce que, point. Retomber dans la spirale infernale d’une dépendance familiale, crever aurait été plus approprié.
« La Californie ? Ce n’est pas pour moi ». Pas d’couille, exactement, plutôt pas envie de décevoir la seule personne qui croyait encore en moi :
« Fiston, c’est ton anniversaire, un vœu particulier à faire ? ». J’ouvrai la bouche prêt à répliquer lorsqu’elle apparut devant nos yeux, beauté intemporelle, est-ce que l’avoir, elle, pouvait faire office de vœu ? Mon adorable mère intercepta un de nos échanges oculaires et décida d’enquiquiner son fils unique – à savoir, moi- :
« Tu la connais ? Elle est charmante » « Mam… » « Pas de « maman » qui tienne, allons la saluer ». Elle me traina à sa suite, qu’aurai-je pu dire ? Butée comme elle était.
« Vous êtes une amie de mon fils ? » Belle entrée en la matière man’, Oscar de la meilleure agression doucereuse.
« Pas encore » souffla-t-elle, un peu surprise. Pas mal la feinte, je l’en remerciai d’un signe de tête. Alors que ma mère se penchait à mon oreille pour chuchoter des mots forts encourageants :
« Tu as une touche ». Si tu savais, pensais-je. Maman : marieuse professionnelle. Meetic à elle toute seule. Diantre, quelle chance j'avais.
« Evidemment, vous vous joignez à nous. Ce soir, c’est jour de fête » chantonna ma mère, joviale, un peu trop pour le coup.
« Me joindre à vous pour fêter quoi ? » « Les 25 ans de Clive ». Un sourire fendit son visage, des fossettes vinrent capturer ses joues, les pommettes saillantes lorsque ma mère eut le dos tourné, dans un murmure telle une confidence, je pus enfin mettre un prénom sur son minois :
« Enchantée loin de là, Clive, moi, c’est Clana-Rush » en me coupant la chique, elle ajouta :
« Je sais, ce sont deux villes d’Irlande. Ma mère doit être aussi extravagante que la vôtre ». Touchée, coulée, dissoute par les sels marins, l’embarcation Ebner. RIP.
« Mon fils était un sacré polisson jusqu’à l’âge de treize ans, il passait son temps à créer des « pièges à cons » comme il s’amusait à appeler ses inventions farfelues ». Merci, maman, intervention très très très UTILE. Gêné, je peinais à poursuivre la découpe de mon steak.
« Vraiment ? C’est étonnant, il a un air si grave collé à son visage. On ne serait jamais amené à penser qu’il lui arrive de s’amuser »
« Il s’est calmé depuis la mort de son meilleur amis. Avant, c’était un véritable bout en train. Jamais sobre ». Je serrais la mâchoire, n’appréciant guère qu’on évoque devant moi un épisode marquant de ma vie, devant
elle, aussi.
« Oh… » Oh ? Quoi « Oh » ? Je n’avais pas besoin de sa compassion. Merde, sérieux.
« Pour tout à l’heure… » « Ne vous fatiguez pas » crachais-je, le nez enfouie dans le col de mon caban. Nous marchions côté à côte dans les rues vides d’hommes. J’avais été désigné comme « celui qui se devait de raccompagner la séduisante brunette » alors, j’avais obtempéré.
« Si, j’ai remarqué que vous vous étiez rembruni » « Pas étonnant, j’n’aime pas trop qu’on parle de ma vie privée devant des inconnus » m’emportai-je, regrettant aussitôt :
« Navré », soufflais-je. Un sourire en coin, elle me fit comprendre silencieusement qu’elle comprenait.
« Vous faites votre effet » Hein ? Je me tournai dans sa direction, les yeux plissés : moi pas comprendre, actuellement.
« J’ai bien peur que ma lanterne soit H-S » avouai-je paumé entre la vision de ses lèvres et celle de ses yeux. Ses pommettes prirent une teinte pourpre tandis qu’elle esquissait quelques pas, vers moi. Sa main vint plaquer une boucle rebelle sur ma tempe. Le rapprochement soudain me fit l’effet d’un taser droit dans l’cœur. Etait-ce une invitation à presser ses lèvres ? Absolument, je ne me fis pas prier. Je le voulais, le désirais depuis si longtemps. Et puis, il fallait bien que je me décide à prendre le risque. Mon vœu avait été exaucé.
« Joyeux anniversaire, Clive ». Lacha-t-elle, pénétrant dans le hall de son immeuble. C'était la dernière fois que je la voyais en terre belge, j'entends.
« Paradise te souhaite la bienvenue » raillais-je, pas le moins du monde enthousiaste. Le voyage s’était déroulé sans réelle encombre mais je sentais que cette nouvelle perspective d’avenir avait un arrière-goût de roussi. Je tirai sur ma valise, le taxi m’emmena à l’auberge qui était censée m’accueillir, là, coup de théâtre, ma belle Clara-Rush, s’y trouvait déjà.
« Vous m’suivez ou quoi ? » lança-t-elle sur le cul. Envouté, je me perdais dans mes bribes de vocabulaire :
« Vous êtes partie précipitamment » « C’parce que je savais que l’on se retrouverait ». A d’autre mais allez savoir comment, il ne nous fallut pas longtemps pour tomber dans les bras de l’autre, nous marier. Cette ville opéra sur nous, un charme irrésistible et insensé.