story of a lifetimeit's all about me
« T'es mariées ? » « Non. » « Mais si, t'as une bague ! » « Je t’ai dis non. Manges ta compote. » J'aime pas les enfants. J'ai jamais aimé les enfants. Ils se mêlent toujours de ce qui ne les regarde pas. Et puis ils parlent trop. Tout le temps. Alors je me lève, ouvre la fenêtre de la cuisine, et puis je sors de ma poche un paquet de cigarettes.
« Maman elle dit que c'est pas bien de fumer. » « Ta mère elle dit des conneries. » La môme, elle me regarde avec ses grands yeux tout bleus, comme si je venais de lui annoncer que le père noël, bah il existe pas. Elle me regarde, comme bouleversée, et je voudrais lui dire d'arrêter, son regard, tout ça. Sa mère, je la connais, et si elle savait la gamine, si elle savait, que sa mère c'est qu'une menteuse, une nana comme les autres qui prône le bien alors qu'elle aussi, elle y a gouté au mal. Si elle savait. Mais je lui dis pas. Assise sur le rebord de la fenêtre, je laisse s'échapper la fumée, comme ça. Ouais, je lui dis pas, parce que ses yeux, ils sont vachement grands, et que je sais pas, j'ai pas envie de les voir tristes. Parce que forcément, elle sera triste d'apprendre la vérité, que super-maman, dans la vraie vie, elle est comme tout le monde. Non, j'aime pas les enfants, et pourtant, je suis là, persuadée de rendre service. Juste après l'école qu'elle m'avait dit, pas longtemps. Ouais, la mère de la demoiselle dans sa chaise haute, elle disait que peut être c'était ça, ma fameuse voie. Que j'allais, en quelques heures en compagnie de princesse-compote, me découvrir en passion dévorante pour les enfants. Mais j'aime pas les enfants. Ils parlent trop, tout le temps. Et puis, ils comprennent les choses, pas comme les adultes. Un adulte, il te croise avec une bague au doigt, il va juste penser que t'es un peu dérangé, ou bien que t'as gagné au loto et que tu t'es enfin décidé a franchir la porte des galeries Lafayette pour dévaliser leur rayon bijoux de luxes ! Un gamin, direct il va savoir que t'es marié. Peut être parce que ça se voit sur ton visage. Femme mariée, il doit y avoir marqué quelques chose comme ça. Quelque part. Sauf qu'en fait je suis pas mariée. C'est un complot. Ouais, un complot je vous dis.
« Mon papa, il va rentrer très tard ce soir. » Cool. Non pas que je ne veuille pas le voir, ton père. Mais garde le pour toi princesse-compote. Gardes le. Parce que moi mon père, c'était un super-héro. Batman et Wolverine en même temps. Trop fort, trop beau, trop drôle. Il riait tout le temps, avec sa voix un peu trop grave, et puis ses espèces de rides qui venaient se plisser au coin de ses yeux, comme pour en redessiner le contour. Mes copines, leurs papas ils étaient nul. Moi le mien, il gagnait a tout les coups. C'est lui que la maitresse regardait a la réunion parents profs, pour lui que la caissière souriait en rendant la monnaie aussi. Ouais, c'était mon papa a moi. Alors gardes le tien petite fille, parce que les papas, ils s'en vont trop vite. Ou alors trop tard, je sais pas trop bien. J'aurais voulu savoir moi, a ce moment là. Qu'une nana, clope a la bouche, me dise de profiter de mon père, a l'époque où je portais encore des bavoirs. Je l'ai pas vu venir. Le jour où il est venu s'asseoir en face de moi. Il était tôt, mon café tardait a couler dans sa tasse, et ma biscotte qui cède sous la pression du couteau beurré. J'aurais du m'en douter. Pourtant je lui ai souris. Ça a duré jusqu'à ce qu'il me dise qu'il fallait qu'on parle. Ouais, qu'on parle. C'est jamais bon. Le « faut qu'on parle » il bouleverse tout le temps ta vie. Il marche dessus, parfois même il l'écrase. Si tu savais petite princesse. La maitresse, la caissière, les autres. Mon père était tombé amoureux d'une autre qu'il disait. Quelqu'un de bien. Et maman bordel, c'est pas quelqu'un de bien ? Pauv' con, j'aurais voulu le lui dire. Mais a son père, on lui pardonne toujours tout. Même la chute de sa mère, la surprise de l'entourage, la déception des gens. Fille a papa. Mais t'inquiète petite princesse, je suis sûre que ton père, ce soir en rentrant -tard- il t'oublieras pas. Alors la cigarette, je l'écrase sur le rebord de la fenêtre. Parait qu'il faut pas fumer prêt des enfants, que c'est pas bon. Que c'est pas bon non plus dans le cas des « futurs mamans ». Je l'ai lu sur doctissimo.
« Clara ? » « Mmh ? » « On fait un puzzle ? » elle me fait sourire. Parce qu'elle a l'air vachement heureuse a l'idée de le faire, son puzzle. Moi ça m'ennuie pourtant. Mais elle, oui, ça a l'air de vachement lui plaire.
« Ça marche ! » Ouais, je crois que je vais bientôt arrêter de fumer.
Alors voilà, je l'avais trouvé ma vocation. Après avoir écumé tous les boulots possibles, je me retrouvais là, assise sur le plancher aux côtés d'une demoiselle plus que bavarde, concentrée pour réussir l'insurmontable : le puzzle. Mais non, je ne rigole pas. Parce que tout ce ressemble, et que la moindre pièce que je touche, elle me réplique un « non, c'est moi qui fait. » Pourtant, j'ai l'impression de servir a quelque chose. Mon médecin dirait que c'est l'instinct maternel qui commence a me travailler. Mais elle en sait rien, elle, de ce qui me travaille ou pas. Elle peut pas savoir. Elle a pas le droit. Et c'est de la connerie. Le puzzle, c'est nous transforme pas en futures super-mamans. Je veux pas de toute façon. Et puis, y a le Bzz Bzz. L'appel du téléphone portable tu vois. […]
« Bonjour maman. Moi aussi je suis ravie d'entendre le son de ta voix. Figures toi que tu me coupes en plein puzzle » […]
« Non je n'ai pas eu le temps de t’appeler pour t'annoncer l'EXCELLENTE nouvelle. » […]
« Non, je n'ai toujours pas de boulot. » […]
« Oh oui, Clive sera ravit que tu passes a la maison pour fêter la futur naissance de son futur fiston ! » Au fait, je vous présente ma mère. Cette femme qui parle trop fort au téléphone, qui me reproche de ne pas l'avoir prévenu de l'heureux événement, qu'elle a -figurez vous- apprit en appelant mon paternel pour avoir la photocopie de je ne sais quel papier. Drame ! Imaginez vous, elle, la mère attentionnée, sur-protectrice, mère de trois enfants, dont moi. Je suis la première, elle désespère. Mon mari est un con qu'elle ne supporte pas. Je vis particulièrement bien ma situation de sans emploi. Et puis, y a le bébé. Enfin si on peut appeler sa un bébé. Elle, c'est la mamie attitude qui la travaille. Je suis sûre que là bas, dans mon village, ils sont tous au courant. Et son billet d'avion, je suis sûre qu'elle l'a déjà acheté. Juste pour faire chier Clive. Et puis pour ne rien manquer. Pour pouvoir dire au gamin dans quelques années « j'étais là ! ». Elle est fière, bien de trop fière. C'est l'effet divorce. Avant elle était pas comme ça. Mais mon père est partit, et elle s'est retrouvée seule avec trois gamins, et un salaire de misère. Si vous saviez. Les démarches pour extorquer de l'argent a mon père. Le reste. Et puis, elle se sent coupable, du fait qu'un jour, je sois partie. Deux ans sans nouvelles, et la voilà qui pensait avoir manqué la moitié de ma vie. C'est comme un besoin, d'être là, toujours, tout le temps. Trois coups de téléphone par semaine. Parfois, je voudrais couper la ligne. Mais c'est ma mère. Ma mère et son irrépressible besoin de se mêler de tout. Alors je raccroche, et puis je souris. Parce que Clive, il va râler quand il va savoir. Il râle tout le temps. Et puis, la môme, elle a arrêté son puzzle et elle me regarde.
« On fait plus de puzzle ? » « Allez viens, je t'emmène, on va se promener. J’appellerais ta mère pour la prévenir. » C'est important d’appeler les mères. Moi, j'ai besoin de prendre l'air.