La directrice de l’orphelinat marchait le long de la pièce, tel un bourreau qui allait délivrer une sentence. Ses yeux ne masquaient pas la fureur qui s’accumulait en elle, prête à exploser à tout moment. Assis sur une chaise en face de son bureau, je me sentais impuissant, comme contrôlé par la colère de la sorcière qui nous servait de directrice. J’avais l’irrésistible envie de lui jeter une agrafeuse sur sa tête de vieille peau. De toute façon si je la tuais, je n’allais pas aller en prison. A douze ans, il y avait bien d’autres possibilités. Mais le meurtre était tout de même un peu poussé. Elle méritait son sort, rester vieille fille à tout jamais.
« Jaxhuem, vous n’êtes pas sans savoir que plus personne n’arrive à vous supporter. Avertissements après avertissements, punitions après punitions, vous êtes toujours aussi invivable ! » Un rire m’échappa. J’avais l’impression d’avoir été élu l’enfant le plus terrible de l’orphelinat. Mais personne ne me comprenait, personne. J’avais passé toute ma vie ici, et personne n’avait jamais voulu de moi. Ma vie avait à peine commencé que mes parents ont décidés de m’abandonner devant l’orphelinat, tels deux êtres sans cœurs. Plus les années passaient, plus je me disais que personne n’allait m’adopter et que j’allais rester ici jusqu’à ce que j’ai l’âge de pouvoir enfin sortir d’ici. A vrai dire, tout était de sa faute. La directrice disait sans cesse que j’avais un sale caractère, ce qui poussait les gens à ne pas m’adopter. Plus elle le disait, plus il empirait. C’était comme un cercle vicieux.
Sa règle en fer frappa son bureau, ce qui eut le don de me faire sursauter et de me tirer de mes pensées. Je lui jetai un regard noir, prêt à l’insulter. « Je vous conseille de vous taire, vues les dernières prouesses que vous avez faites ! Vous avez réussi à faire pleurer la surveillante, à cause de vous un élève s’est cassé le bras et vous avez mis le feu à un buisson. » J’eus de nouveau un petit rire. Elle n’avait nul besoin de me répéter ce que j’avais fait, je n’avais pas une mémoire de poisson rouge. « Et quelle sera ma punition cette fois madame Fisher, privé de dessert ? Mais vous savez, je trouverai le moyen d’en avoir un… » Elle frappa une nouvelle fois la table avec sa règle. Je lui accordai un petit sourire provocateur, l’un de ceux qu’elle détestait par-dessus tout. Elle s’approcha de moi, l’air effroyablement pincé. « Non, vous ne serez pas puni pour la bonne est simple raison que demain, vous quittez l’orphelinat. Nous avons fait des recherches et retrouvé votre oncle qui s’est miraculeusement manifesté. Notre envie de vous voir partir d'ici a beaucoup participé à ces recherches, je dois l’avouer. » Impossible, impensable. J’allais enfin partir de cet endroit miteux, j’allais enfin pouvoir vivre la vraie vie. J’étais tellement heureux que je suis même arrivé à être reconnaissant envers la sorcière. Enfin presque, n’exagérons pas. Je pris une mine triste littéralement opposée à ce que je ressentais. « Vous allez me manquer mademoiselle, vraiment. » Elle semblait étonnée de ma réaction. Quelle idiote, elle était simplement tombée dans le panneau. Un nouveau sourire se dessina sur mes lèvres auquel elle répondit par un long soupir. « Sortez d’ici, et vite. » Je m’exécutai, accompagné d’un petit rire enfantin. Au moment de franchir la porte, je me suis retourné pour lui lancer la dernière vacherie que je lui lancerai. Qui sait, la mélancolie allait peut être me gagner. «Mademoiselle, je sincèrement désolée de ne voir aucune alliance à votre doigt. Ne perdez pas espoir, les aveugles et sourds vous trouveront à votre goût s’ils sont assez idiot. » Je sortis et claquai la porte derrière moi avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit.

Dehors, la pluie tombait comme si le ciel lui-même voulait que les rues soient inondées. Mon manteau dans les bras, j’eus vite fait de me convaincre à le mettre en regardant les cordes tomber sans pouvoir s’arrêter. Fantastique, trois pas dehors, et j’allais être trempé. Je détestais la pluie, je la détestais par-dessus tout lorsque je devais aller travailler. Je me dirigeai vers le fameux placard où mon oncle rangeait sa marchandise et pris quelque sachets d’herbes de Provences, comme il le disait si bien. Il m’avait tout appris, absolument tout. Quelque jour après mon arrivée chez lui, il m’a montré son vrai visage. Un magouilleur, un escroc vendeur de drogue. Il a tout de suite décidé de m’apprendre tout ce qu’il savait. J’étais vraiment heureux passer du temps avec lui, à apprendre le métier. Plus les années passaient, plus il me laissait de la responsabilité. Et depuis quelque jour, il me laissait aller vendre tout seul, estimant qu’à dix-huit ans jétais uis bel et bien capable de ne pas me faire attraper. L’orphelinat me paraissait bien loin à présent. La complicité qui s’était installée entre mon oncle et moi avait depuis longtemps remplacé ma haine avec les personnes de l’orphelinat.
Je mis les petits sachets dans la poche intérieur de mon manteau, et me dirigeai vers la porte de d’entrée. « Jax, tu vas où comme ça ? » Je me mis soudainement à rire. Voilà qu’Adrian essayait de jouer au tonton autoritaire juste pour plaisanter. « J’en conclus que l’effet de sérieux est foutu… » Son rire se joignit au mien. Honnêtement, c’était dans ces cas-là que je remerciais mes parents de m’avoir abandonné. Je m’entendais tellement bien avec mon oncle que j’avais l’impression qu’il était mon père. « Courage, tu es sur le bon chemin ! » « Te fous pas de moi ! Revenons aux choses sérieuses, je voulais te demander de ne pas rentrer trop tard, Callie et sa fille viennent diner. » La fameuse Callie, celle qui passait beaucoup de temps ici depuis quelques semaines. J’étais vraiment heureux pour lui qu’il ait trouvé l’amour, même si je ne m’entendais pas spécialement avec la peste qui lui servait de fille. « J’ai compris, je rentrerai assez tôt. Promis, je ne parlerai ni de drogues, ni d’argent gagné par escroquerie. » « T’es un amour ». Une nouvelle vague de rire nous parcouru, avant que je ne parvienne enfin à sortir. Qu’il était mignon oncle Adrian quand il était amoureux. Il avait l’air d’un adolescent ayant rencontré son premier amour.

Voir son nom écrit sur une pierre m’avait longtemps transpercé le cœur. RIP, ADRIAN BURROWS 1972, 2007. Ces mots me faisaient à présent l’effet d’une plume sur un caillou. Je ne ressentais plus rien, plus aucune tristesse vis-à-vis de lui et il ne me manquait plus. Cela faisait exactement cinq ans jours pour jours qu’il s’était suicidé suite à sa rupture avec Callie. Durant quelque mois, je me suis comporté tel un alcoolique, enchaînant verres sur verres. Puis, je me suis repris en main et je me suis juré de ne plus souffrir autant. Je valais mieux que ça, j’étais plus fort que ça. J’ai donc pris la place d’Adrian dans sa carrière de dealeur. J’ai toujours été vraiment doué d’ailleurs. Bref, maintenant, j’étais là à lui mettre un petit sachet de cocaïne sur sa tombe, dissimulée dans un pot de fleur. Il me féliciterait sans doute pour l’originalité de mon idée.
Je repartis, sous le froid sec d’hiver qui glacerait presque le sang. Les mains dans les poches, je marchais paisiblement dans la rue. Tout le monde semblait éviter le froid et rester bien au chaud, pendant que les cloches de l’église retentissait. Encore un mariage. Non, encore un couple qui s’était fait avoir et n’avait pu s’empêcher d’unir leur vie à tout jamais. Pas de chance. Je m’estimais heureux de ne pas m’être marier et d’avoir suivi le groupe incalculable de personne touchée par une étrange envie de se marier à tout va. Quelque mètre plus loin, je vis Neena, qui regardait des robes de mariées en vitrine. Jalouserait-elle la personne qui était sur le point de se marier ? Je ne le pensais pas, mais la vie nous réserve toujours des surprises, comme on dit. « Neena chérie, tu sais très bien que regarder ces robes ne me poussera pas à te demander un mariage. On ne se mariera jamais ma belle. » Elle se retourna, un petit sourire aux lèvres. Elle avait ce regard qui signifiait qu’elle ne me laisserait pas repartir comme ça. « Je regardais juste le prix, abruti. Mais puisque t’es là, tu ne veux pas qu’on aille faire un tour dans la cabine d’essayage ? » Elle se rapprocha doucement de moi, jusqu’à coller sa tête presque contre la mienne. Elle plongea ses yeux dans les miens, histoire de me convaincre. Je lui lançai un sourire provocateur et passai ma main dans ses longs cheveux. « Tu sais, le marié n’a pas le droit de voir sa future épouse en robe avant l’heure, alors aller dans la cabine… » je reculai d’un pas, puis de deux. « Chérie, ce n’est pas que je ne t’aime pas, bien au contraire, mais je dois y aller. Fais de beaux rêves devant ces robes. » Je m’éclipsai en vitesse, histoire qu’elle ne me rattrape pas. J’avais déjà passé trop de temps avec elle aujourd’hui. Avec ces histoires de mariages, il ne fallait pas prendre de risque. Sans oublier le fait qu’il fallait que je me mette au travail, j’avais de la drogue à revendre.