appel sortant, princesse → répondeur
“mec, arrête de m'faire sonner à trois heures du mat', j'te jure, c'est vraiment chiant. au moins, évite de te rendormir et fais l'effort de décrocher quand j'te rappelle, c'est la moindre des choses. bye”






J’hésite à ponctuer ma dernière phrase d’un je t’aime, m’abstiens, me contente de raccrocher sans ajouter un mot. Je fixe un instant l'écran de mon téléphone, m'y brûlant la rétine de part sa luminosité trop puissante pour mes yeux encore embrumés, espérant qu'Harry me rappelle dans la foulée. Rien. Dans une protestation, je jette mon cellulaire dans la zone inoccupée de mon lit, la droite de mes draps que ma princesse occupait régulièrement il y a quelques mois encore: bizarrement, je n'arrive toujours pas à dormir de ce côté-là du matelas, bien que son mariage ait depuis longtemps mis fin à nos parties de PS3 et autre fumette jusqu'à l'aube, tous deux enfouis dans ce même lit. Egoïstement, j'avouerai que c'était le bon temps. A l'époque, Harry n'avait pas sa conne d'Alice, à l'époque, Harry était mon entière propriété: ma propre princesse aux cheveux courts et Vans aux pieds dont j'avais l'exclusivité la plus totale et à qui, réciproquement, j'appartenais. Tout est cependant derrière nous depuis qu'elle est entrée dans sa vie. Sale trainée. Je serais capable de tout afin de pouvoir remonter dans le temps et l'empêcher de rencontrer mon Harry. J'ai été si con. Ce soir-là, j'aurais dû me la faire et la jeter le lendemain matin: ma princesse n'aurait probablement pas décidé de l'aimer, de l'épouser, et d'ainsi anéantir notre si belle relation qui durait depuis vingt ans déjà, et ce au profit des jolis yeux d'une vulgaire brune qui ne peut connaître Harry aussi bien que moi, malgré les alliances échangées.

Je soupire, me tourne, me retourne, m'enfonce un peu plus dans mon coussin. Ma princesse a brouillé le fil de mes pensées, je n'arrive plus à réfléchir, mon libre arbitre s'est fait la malle. Il est quatre heures onze, le soleil se lève dans deux heures et je suis définitivement réveillé. Harry est là, omniprésent; d'un côté, j'ai l'impression que mon monde a toujours tourné autour de lui, qu'il en a toujours été le soleil: meilleurs amis depuis maintenant vingt-deux ans, nous ne nous sommes jamais séparés, jusqu'à ces foutues noces. Ma princesse et moi, nous nous ne sommes jamais rencontrés, nous nous sommes toujours connus, aussi loin que je puisse m'en souvenir. Avant que mes parents ne se séparent et que ma mère ne décide de se mettre avec un mec de six ans plus vieux que moi uniquement capable de la mettre enceinte plus vite que son ombre, la génitrice d'Harry et la mienne étaient très bonnes amies se connaissant depuis l'adolescence déjà. Ma princesse, je l'ai tout connement vu naître. Pour beaucoup, nous sommes comme deux frères jumeaux, êtres nés du même embryon et de ce fait indivisibles: ce genre de dires, je les emmerde bien profondément, parce qu'Harry et moi, c'est bien plus que ça. Ce n'est pas de l'amour, c'est plus fort encore, quelque chose qui vous prend aux trippes et qui vous encre aux métaux lourds son prénom dans chacune de vos cellules: vous l'avez dans la peau, et vous savez pertinemment bien qu'il en sera toujours ainsi et ce malgré les aléas de la vie. L'amour incontestable que je lui porte, je suis juste incapable d'y passer outre, bien qu'il ait à ce jour trouver chaussure à son pied; un escarpin en 48, certes, mais une chaussure tout de même. Loin de moi tel qu'il l'est aujourd'hui, je n'arrive cependant pas à être heureux pour lui. Je me retourne une énième fois, rabats mon drap sur mes épaules nues: j'ai terriblement froid, et ma princesse ne veut pas s'en aller et quitter, pour cette nuit du moins, ma tête, comme si elle voulait me tenir chaud comme auparavant et ce malgré les kilomètres qui nous séparent désormais. Harry n'est pas omniprésent, il est omnipotent: je ne vois que par lui tandis qu'inconsciemment, il règne en maître sur ma vie. Qu'il s'agisse de mon père semi-alcoolique, de ma cougar de mère ou de ma demi-sœur au cerveau atrophié, tout passe au second plan face à sa suprématie, et plus rien n'a d'importance à mes yeux. Alice. Klente, pense à cette putain d'Alice. Alice et Harry, Harry et Alice, j'aurai pourtant dû m'y faire: pas le moins de monde. Faire table rase de mes sentiments à l'égard d'Harry me semble être la plus radicale mais aussi la dernière des solutions.

Dans un énième soupir, je tire un peu plus le drap sur moi, ferme les yeux, tente de me rendormir. Mon téléphone sonne: cette sonnerie-là, elle lui est personnellement dédiée.

“princesse? (...)” sa voix. finalement, je dis fuck à mes résolutions. on n'a qu'une seule vie, je me trompe?